16

IL pleuvait quand ils atteignirent le refuge au coucher du soleil.

— J’avais espéré arriver à Thendara aujourd’hui, dit Rohana au moment où leur troupe commençait à mettre pied à terre. Mais la perspective de passer la moitié de la nuit à cheval ne me sourit guère. On arrivera demain, à coup sûr.

— Je serai bien contente d’arriver là-bas, dit Magda.

Mais elle commença à s’interroger. Qu’attendait-elle, au juste, à Thendara ? Ce répit d’une nuit était le bienvenu.

Elle était en train de desseller son cheval lorsque Darrill, fils de Darnak, s’approcha d’elle par-derrière et lui prit la lourde selle des mains. La jeune femme s’en dessaisit en souriant et resta à côté de lui, tandis qu’il commençait à donner du fourrage à leurs chevaux. Darrill attendit que la plupart des gardes de Rohana se soient retirés – Dame Rohana, en sa qualité d’épouse du Seigneur d’Ardaïs, ne pouvait voyager sans une escorte considérable…

— Est-ce que cela vous fera plaisir de retrouver votre ancien monde, Margali ? demanda-t-il à voix basse.

— Je ne suis plus certaine que ce soit mon monde, Darrill, répondit-elle, troublée. Je suis liée par le Serment aux Amazones Libres.

— Mais, voyons… Piedro m’a dit que ce n’était qu’un déguisement, une façon de vous permettre de voyager en toute sécurité.

— Piedro n’y comprend rien, rétorqua Magda avec une brusquerie inattendue.

— J’ai peur de ne pas comprendre non plus.

— Je ne suis pas sûre de comprendre moi-même. Il est vrai que j’ai prêté serment pour arriver à mes fins et que je n’avais pas vraiment conscience de ce que cela signifiait. Mais par la suite, j’ai choisi, de mon plein gré, d’honorer ce serment et je le ferai, quoi qu’il arrive.

Il inclina la tête, lentement.

— Je peux comprendre cela. Mais que vont dire les Terriens ?

C’est là toute la question, se dit-elle. Vais-je passer le reste de ma vie à fuir la justice de l’Empire ?

— Je vais essayer d’obtenir un congé afin d’honorer mes obligations envers la Maison de la Guilde, dit-elle. Après ça, je crois que je pourrai travailler de façon plus efficace pour l’Empire. Cela devrait me permettre de faire bien des choses qu’une femme ordinaire se verrait interdire sur cette planète, autrement.

— Margali, dit-il très bas, quand je vous ai rencontrée pour la première fois, le soir du solstice d’hiver, j’ai été vivement impressionné par votre courage et votre caractère. Il m’a semblé qu’aucune femme de notre peuple ne pouvait en avoir autant et j’ai pensé que cela venait forcément du fait que vous étiez une étrangère, une Terrienne. Mais à présent, il me semble parfois que vous êtes encore plus proche d’une femme de notre peuple. Vous ne ressemblez à aucune des personnes que j’ai connues jusqu’à présent.

Il leva les yeux et plongea son regard dans celui de la jeune femme. Pendant un moment, elle crut qu’il allait l’embrasser. Puis il avala sa salive avec difficulté, se ressaisit et se détourna légèrement.

— Pardonnez-moi, dit-il. Je dois finir de m’occuper des chevaux.

Tandis qu’il vaquait à son travail, Magda se surprit à penser : Si je n’y prends pas garde, il va tomber amoureux de moi. Et c’est une complication que je ne peux pas me permettre maintenant. Je dois faire très attention. Cette pensée lui inspira quelques regrets. J’ai découvert au solstice d’hiver qu’il me fallait trouver des façons nouvelles d’établir des rapports avec mon monde. Mais avant de me compliquer la vie avec un autre homme, je dois apprendre à mieux me connaître !

Ce serait peut-être flatteur si le jeune Darrill tombait amoureux d’elle. Mais il serait cruel de mettre à l’épreuve la nouvelle conscience qu’elle avait des hommes en séduisant le jeune homme et peut-être en s’emparant de son cœur, alors qu’elle n’était pas libre et ne pouvait pas s’engager de façon permanente ou sérieuse envers qui que ce soit. Jaelle s’était défendue au sujet de ses flirts en prétextant qu’elle n’avait jamais blessé ou brisé le cœur d’aucun homme par ses coquetteries. Je dois prendre grand soin d’éviter cela, aussi, se dit-elle.

À l’intérieur du refuge qui comptait parmi les plus grands, les gardes et parmi eux Peter, avaient fait leur feu à une extrémité de la salle. De l’autre côté, se trouvaient Rohana et ses dames d’honneur, ainsi que Magda et Jaelle. Comme d’habitude, Rohana envoya dire à Peter de venir se joindre à leur repas. Après le dîner, elle considéra Peter et Jaelle, assis tout près l’un de l’autre, et dont les mains s’étaient jointes dans l’ombre.

— Par simple humanité, je crois que nous devrions les laisser seuls quelques minutes, dit-elle à Magda. (Elle éleva légèrement la voix.) Venez, Mesdames, je crois que le moment est venu d’aller rendre visite aux gardes, autour de l’autre feu, pour voir s’ils sont satisfaits de leurs rations et s’ils sont confortablement installés !

La femme de chambre de la noble Comyn, une vieille femme grosse et sentimentale, tourna la tête pour observer Jaelle avec un sourire encourageant, tandis que le groupe de femmes s’avançait vers l’autre feu et la jeune Amazone se sentir rougir. Mais elle oublia bientôt la femme lorsque Peter la prit dans ses bras et l’embrassa longuement avec passion. Elle s’abandonna dans ses bras avec reconnaissance, bénissant sa parente pour ce simple moment de tête-à-tête avec son amant. Cela ne durerait que quelques minutes, mais pendant ce bref instant, elle pourrait se tranquilliser…

Le Terrien finit par relâcher son étreinte.

— Je te désire tellement que j’en ai le vertige ! Du moins, ce ne sera pas long. On arrive à Thendara demain. Tu m’aimes encore, Jaelle ?

Elle leva les yeux vers lui et le regarda en riant.

— Peux-tu en douter ?

— Mais tu m’évites.

— Je t’évite ? Bien sûr que non, mon amour, dit-elle avec un dernier petit rire. Tu ne crois tout de même pas que je pourrais coucher avec toi en présence d’une dizaine de gardes et de toutes les servantes de Rohana !

Il détourna le regard, gêné par sa franchise un peu rude.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, protesta-t-il. Mais nous pourrions rester ensemble plus souvent en cours de route. Tu pourrais chevaucher à mes côtés, passer plus de temps en ma compagnie ! Tout au long de ce voyage, tu m’as traité comme quelqu’un que tu aurais pu rencontrer à un bal d’école, et non pas comme ton amant !

Il prononça ce mot avec l’intonation qui le rendait presque synonyme de « futur mari » et Jaelle lui serra la main en souriant.

— Tu es mon bien-aimé, dit-elle dans un murmure, et bientôt, nous serons ensemble autant qu’il te plaira. Mais je suis une Amazone, Piedro. Je ne t’ai pas appris grand-chose sur nos lois et nos coutumes, mais une des vérités qu’on nous enseigne, c’est qu’il n’y a qu’une seule façon pour une femme de voyager avec des hommes sans provoquer de désordres et de dissensions : il suffit de nous comporter comme des êtres humains, pas comme des créatures sexuelles, des femelles dont la principale occupation dans l’existence est d’attirer des hommes afin d’obtenir leur protection et leurs égards.

— Oh ! écoute, Dame Rohana et ses suivantes sont sûrement… !

— Pour ses gardes, Rohana est l’épouse de leur Seigneur, un dépôt sacré qu’ils doivent protéger au péril de leur vie. Quant à ses dames de compagnie, elles sont protégées par son… son « charisme » spécial. Mais moi, je suis une Amazone et j’ai renoncé à mon statut privilégié de Comynara. Et je travaille au milieu d’eux. J’ai organisé ce voyage. Il ne faut donc pas que je me présente parmi eux comme une femme… libre d’être désirée. Peux-tu comprendre cela ? supplia-t-elle. Si je passe beaucoup de temps avec toi, si je montre que je suis ta maîtresse (elle prononça, elle aussi, le mot avec l’intonation signifiant « future femme » et Peter lui serra la main), je me présente alors à eux comme une femme. Et ils se mettront à me considérer comme telle. Bientôt, ils vont entrer en compétition entre eux pour des détails afin d’attirer mon attention et gagner mes bonnes grâces. Puis ils se comporteront en homme vis-à-vis de moi et bientôt, il y aura des dissensions et du ressentiment entre eux. Je dois donc me contenter d’être une travailleuse comme une autre, je dois donc être une des leurs. Il faut qu’ils se sentent à l’aise avec moi, sans modérer leurs propos afin de ne pas choquer mes oreilles sensibles et sans se sentir obligés de me confier les tâches les plus légères.

Ses paroles n’étaient pas teintées du plus léger reproche, mais Peter se souvint que quelques jours auparavant, elle lui avait lancé un regard désapprobateur lorsqu’il l’avait aidée sans qu’elle l’eût demandé, à porter une lourde charge.

— Est-ce que tu essaies de me dire qu’aucun travail n’est au-dessus de tes forces ? s’enquit-il.

— Non, pas du tout !

— Je ne le croirais d’ailleurs pas, fit Peter d’un air indigné en considérant la mince jeune femme. Et que fais-tu donc, fière Amazone, quand tu te trouves devant une tâche au-dessus de tes forces ?

Elle lui sourit.

— Exactement ce que vous faites entre hommes quand vous n’arrivez pas à soulever tout seul un poids trop lourd ou lorsqu’une tâche nécessite quatre mains. Je ne crois pas que tu sois d’une force colossale. Quand un effort requiert une force supérieure à celle que tu as dans les bras, je suppose que tu t’adresses simplement à l’un des autres hommes présents en lui disant : « Hé ! viens m’aider à soulever ça avant que je ne me crève ! » Eh bien, c’est exactement ce que je fais. Si j’ai prouvé de façon évidente que je ne recule pas devant une tâche quand elle est à ma mesure, alors, les hommes m’aideront comme ils le feraient avec un autre homme et cela, sans penser une seule fois que je suis une femme et qu’il faut me protéger !

— J’espère que tu n’as pas l’intention de me traiter toujours de cette façon ! s’écria le Terrien.

La jeune femme éclata de rire, leva la main et lui caressa amoureusement la joue.

— Quand nous serons seuls, mon amour, je serai si fragile et si exigeante que tu me prendras parfois pour Dame Rohana elle-même à laquelle la loi ne permet pas de faire, ne fût-ce qu’une journée de cheval sans sa femme de chambre, sa dame de compagnie et une dizaine de gardes ! Mais il ne faut pas t’attendre à ce que je sois différente de ce que je suis, mon chéri. (Elle se dressa sur la pointe des pieds, attira à elle la tête du Terrien et l’embrassa à la hâte.) En voilà assez pour le moment. Rohana et ses femmes reviennent et demain, nous serons à Thendara.

— Et demain soir…, ajouta Peter avec un sourire.

Elle se pressa un instant contre lui, sans chercher à lui cacher qu’elle partageait son ardeur. Puis ils se séparèrent en soupirant au moment où la noble Comyn et sa suite arrivaient près du feu.

 

Ils entrèrent dans Thendara un peu après midi.

— Qu’allez-vous faire maintenant ? s’enquit Rohana au moment où ils franchissaient les portes de la ville. Toi, Jaelle, je sais que tu dois te rendre dans la Maison de la Guilde avec Margali.

Magda fut saisie d’une légère appréhension. Nous y voilà. Finis les atermoiements. Oh ! Seigneur, j’ai peur !

Il est certain que Ténébreuse fera partie de l’Empire avant ma mort et cela ne fera plus aucune différence. Il faut compter en général une cinquantaine d’années entre la prise de contact avec une planète et son affiliation. Et la moitié de ce délai est déjà écoulée. Mais est-ce que cela ne se produira pas trop tard pour pouvoir m’être d’aucune utilité ? Faut-il que je sois exilée d’un monde dans un autre ?

La jeune femme agitait ces pensées sans savoir que Ténébreuse allait constituer un cas unique dans l’histoire de l’Empire et qu’il s’écoulerait non pas seulement la sienne, mais bien des vies humaines avant que Ténébreuse et l’Empire ne soient réconciliés. Toutefois, ce singulier petit éclair de « prescience » lui glaça le sang à nouveau et elle resserra sa capeline bordée de fourrure – cadeau de Rohana au solstice d’hiver – autour de ses épaules.

— C’est stupide ! s’écria Peter en jetant un coup d’œil derrière lui pour s’assurer qu’ils étaient hors de portée de voix des suivantes et des gardes de Rohana. Tu ne peux absolument pas faire ça, Magda. On va s’arranger pour t’éviter de passer bêtement la moitié d’une année dans la Maison de la Guilde. Je suis certain que tu trouverais ça intéressant, mais on ne peut pas se permettre de perdre la seule spécialiste femme que nous ayons à demeure. Reviens avec moi au Quartier Général maintenant et laisse les responsables trouver un moyen de te sortir d’affaire.

— Tu ne comprends pas, Peter, dit Magda, exaspérée. Je suis liée par le serment et je veux le respecter. J’essaierai, après, de m’arranger avec les autorités de l’Empire. Mais je dois faire face à cet engagement.

— Oh ! ça ! fit le Terrien avec mépris. Tu sais aussi bien que moi qu’un serment prêté sous la contrainte n’est pas valide !

Jaelle le dévisagea, scandalisée et atterrée. Et Magda, avec sa nouvelle et accablante réceptivité aux pensées des autres, sut que Peter venait de choquer la jeune Amazone à un point tel qu’elle en demeurait sans voix. Un serment est sacré. Quel genre d’homme est-il donc pour l’ignorer ? Et si Peter n’avait pas conscience de ce que le serment signifiait pour Magda, comment pourrait-il saisir ce qu’il représentait aux yeux de Jaelle ?

Comprendra-t-il jamais que c’est là le principe même de tout mon être ? Cela ne dura qu’un moment. Puis la jeune femme amoureuse se mit à lui chercher des excuses. Bientôt il comprendrait. Bientôt. Jaelle sourit donc gaiement à Peter et se tourna vers Magda.

— Il va falloir qu’on lui fasse la leçon un peu mieux que ça, n’est-ce pas, ma sœur ?

Rohana, sensible à la tension, intervint.

— La meilleure solution pour vous trois, c’est que vous soyez mes invités au Château des Comyn, cette nuit. Il y a suffisamment de place dans les appartements réservés aux Ardaïs pour accueillir une dizaine de personnes ou davantage. Ainsi, Piedro, vous pourrez envoyer un message à votre supérieur terrien pour l’informer que nous nous réunirons tous demain en présence de Lorill Hastur. Ils seront tous deux impatients de savoir comment cette affaire s’est terminée.

Ce compromis obtint leur accord et une heure plus tard, ils étaient tous installés dans les pièces confortables des appartements des Ardaïs. Magda était fatiguée par le long voyage ; elle s’allongea donc pour faire un petit somme, consciente, cependant, que le sommeil n’était qu’une autre façon d’éviter, pendant un temps, les sentiments contradictoires qui la déchiraient de façon insupportable. Il faudrait bien les affronter le lendemain, à n’importe quel prix.

Peter s’attarda un moment sur le seuil de la chambre que partageaient les deux femmes.

— Jaelle, tu m’évites à nouveau ! s’écria-t-il, blessé.

— Non, mon amour. Dans un jour ou deux, nous déclarerons que nous vivons en union libre, devant témoins, promit-elle en se dressant sur la pointe des pieds pour l’embrasser avec une passion qui balaya les doutes du jeune homme. Mais pour l’instant, je suis l’invitée de Rohana au Château des Comyn et pour préserver sa réputation, je dois me conformer, sous ce toit, à ses lois et à ses règles de conduite plutôt qu’aux miennes. Mais je t’aime. N’en doute jamais, promets-le-moi, Piedro. Promets-le-moi.

— Je te le promets, affirma-t-il. (Alors, surpris, il se pencha pour essuyer les larmes qu’elle avait dans les yeux.) Mon amour, ma chérie, pourquoi pleures-tu ?

— Je… je n’en sais rien, balbutia-t-elle. (Et, bien qu’il sût qu’elle éludait sa question, Peter ne pouvait rien dire.) J’ai beau être une Amazone Libre, Piedro, il faudra parfois que tu me permettes de me conduire simplement comme une femme, et pas toujours raisonnable…

Lorsqu’il fut parti et que Magda eut sombré dans un sommeil épuisé, Jaelle erra sans but dans les appartements des Ardaïs, nerveusement. À cette époque de l’année, ils étaient déserts. Rohana et ses invités paraissaient circuler dans les pièces et les couloirs vides qui rendaient un son creux, comme des cosses de pois sur un arbre qu’une tempête aurait dépouillé. Finalement, Rohana la dénicha.

— Viens t’asseoir avec moi un petit moment, Jaelle. Il se passera peut-être beaucoup de temps avant qu’on ne puisse rester ensemble comme cela. Pendant la saison du Conseil, je n’ai guère le loisir de goûter ta compagnie et il faudra peut-être attendre de nombreuses années avant que tu ne me rendes de nouveau visite à Ardaïs.

Elles prirent place devant le feu qu’on avait allumé dans la chambre de Rohana. Pendant un certain temps, elles parlèrent peu, mais à la fin, Jaelle quitta sa chaise et vint s’asseoir sur la carpette de foyer, à côté de sa parente. Elle posa un instant sa tête sur les genoux de Rohana. Avec hésitation, cette dernière caressa les doux cheveux de la jeune femme. Lorsqu’elle était fillette, Jaelle ne s’était jamais abandonnée aux caresses et Rohana avait rapidement appris à ne pas en offrir. Mais pour une fois, sa nièce semblait les solliciter.

— Je ne te l’ai pas dit, finit par avouer Jaelle, mais tu l’as probablement deviné. Piedro m’a demandé de rester à Thendara pour vivre avec lui en union libre. Et j’y ai consenti.

Rohana abaissa son regard sur sa nièce avec une lointaine tristesse. Elle l’aime tant. Et je sais que je ne peux pas vraiment le comprendre. Rohana avait été accordée en mariage lorsqu’elle était très jeune. Elle avait docilement épousé l’homme choisi par sa famille, sans discussion, et n’avait jamais été atteinte par ce genre de passion.

— As-tu jamais regretté ton serment, Jaelle ? demanda-t-elle enfin avec une tendresse hésitante.

— Jamais auparavant, pas un seul instant, répondit la jeune Amazone. Tout de même, ajouta-t-elle avec effort, je crois que tu avais raison, il y a des années, quand tu as dit que j’étais trop jeune pour faire un tel choix.

Cela frappa Rohana en plein cœur avec une souffrance presque physique. Miséricordieuse Déesse, je lui ai donné la liberté, la liberté qui m’avait été refusée. Ai-je eu tellement tort ? Le temps, momentanément, lui échappa. Le passé et le présent se confondirent, et la noble Comyn eut l’impression qu’elle revivait le dernier jour de la longue visite que Jaelle avait faite au Château des Ardaïs, quand elle avait quinze ans. Elle avait compris que la jeune fille n’y était pas heureuse : elle détestait Kyril et ne portait pas une grande affection au fils et à la fille plus jeunes de sa tante ; elle considérait Gabriel comme un petit tyran ; elle s’était irritée de l’obligation de porter une jupe même pour monter à cheval ; et le dernier jour de sa visite elle était venue trouver Rohana et lui avait dit d’un air de défi qu’elle prêterait le serment des Amazones le jour même où la loi lui en donnerait le droit.

Rohana avait prévu cette décision, mais la réalité ne l’en avait pas moins plongée dans la consternation. Elle sentait que Jaelle n’avait encore aucune idée de ce à quoi elle renonçait.

— Sois très prudente, Jaelle, avait-elle dit. Attends d’avoir une certitude. Ce n’est pas un jeu ; il s’agit de ta vie tout entière. Ne la sacrifie pas inutilement !

Elle s’était mise ensuite à la supplier.

— Jaelle, veux-tu m’accorder trois ans, un peu plus de temps, comme tu l’as fait avec Kindra, pour te prouver que ma vie n’est pas moins heureuse que la sienne ?

Elle comprit que sa nièce s’en souvenait, elle aussi. (Mais n’était-ce pas plutôt le laran de la jeune femme qui s’éveillait et l’aidait à partager ses pensées à elle ?) Car Jaelle lui dit doucement :

— Trois années, à l’époque, cela me semblait une éternité. Plus que je ne pouvais le supporter. Et – pardonne-moi, Rohana – tu voulais prouver que tu étais heureuse. Alors que je savais, moi, qu’il n’en était rien. Et cela me faisait donc l’effet… d’une hypocrisie.

Rohana baissa la tête. Non, elle n’était pas heureuse, alors. Mais elle croyait l’avoir mieux dissimulé aux yeux de Jaelle. Elle s’était sentie harcelée, à l’époque, piégée par la vie qu’elle menait, après la liberté à laquelle elle avait brièvement goûté. Elle avait été très sollicitée par ses enfants adolescents et par Valentin qui, à trois ans, était à l’âge le plus actif et le plus fatigant. En outre, elle s’était retrouvée enceinte au même moment d’un quatrième enfant qu’elle ne désirait pas. Elle avait dû payer ce prix pour obtenir le pardon définitif de Gabriel. Et quand bien même elle n’en voulait pas, Rohana était trop femme pour porter un enfant pendant près d’une année et le voir mourir sans en éprouver de douleur. Lorsqu’elle avait accouché d’un bébé mort-né, elle avait donc eu autant de chagrin que si elle l’avait ardemment désiré. Mais durant cette année-là, elle avait attendu l’enfant dans un état de rébellion coléreuse et désespérée, estimant qu’elle avait peut-être payé trop cher les bonnes grâces de Gabriel et la paix dans son foyer. À présent, face à la femme qu’était devenue Jaelle, elle baissa la tête.

— Tu avais raison, dit-elle d’une voix presque inaudible. Je n’étais pas heureuse, à l’époque. Maintenant, je me sens plus coupable que jamais, car l’exemple de mes soucis t’a poussée à prêter le serment des Amazones sans bien réfléchir.

Jaelle pressa sa joue contre la main de sa tante.

— Tu n’as rien à te reprocher. Je ne crois pas que cela aurait fait la moindre différence. Kindra elle-même disait que j’étais têtue et volontaire. Elle aussi m’a exhortée à attendre un peu. Peut-être (elle eut un bref sourire)… suis-je la fille de mon père, également, même si cette idée ne me plaît pas.

Jamais, jusqu’à ce jour, Jaelle n’avait prononcé le nom de son père devant Rohana. Cette dernière soupçonnait combien il avait dû coûter à sa nièce de dire cela.

— Tu vas rester avec ton amant terrien, alors ? lui demanda-t-elle après avoir gardé longtemps le silence.

— Je… je crois.

Mais elle n’en est pas sûre.

— Est-ce loyal envers un homme, de lui donner aussi peu de toi qu’on le fait en union libre, Jaelle ?

— Rohana, je lui donne ce qu’il me demande ! Les Terriens ne rendent pas leurs femmes esclaves de leurs caprices !

— Tout de même… ne te mets pas en colère, ma fille… il me semble qu’une compagne d’union libre n’offre guère plus qu’une prostituée. (Elle employait le terme grossier de grezalis, sachant que sur ses lèvres de femme bien élevée, il choquerait Jaelle et forcerait son attention.) Il me semble qu’il n’y a de mariage que lorsque tu t’engages envers un homme pour toute la vie : bonne ou mauvaise, dans la joie ou la misère. Tu sais que lorsqu’on m’a mariée, Gabriel n’était à mes yeux qu’un fardeau qu’il me fallait supporter parce que j’étais née Comyn et que les lois de ma caste exigeaient que j’épouse un membre de mon clan et que je lui donne des enfants ayant le laran.

— Et tu oses me traiter de putain ? Alors qu’on t’a vendue comme une esclave pour satisfaire l’orgueil de classe de ta famille et que moi, je choisis librement de me donner à l’homme que j’aime et que je désire ?

Rohana avança la main pour l’interrompre.

— Jaelle, Jaelle, ma chérie, je ne t’ai pas traitée de putain, ni rien de semblable ! J’ai dit comment j’avais considéré mon mariage, au début : comme un lourd fardeau qu’il me fallait supporter pour le bien de ma famille. Et pourtant, à présent, Gabriel est le centre même du monde que nous avons construit ensemble. Une compagne d’union libre dit à son amant : je vais rester avec toi à cause de cette tempête de désir, tant que j’y trouverai du plaisir ; mais si nous cessons d’être heureux, je te quitterai, sacrifiant le bonheur que nous avons connu et les bons moments que nous pourrions partager à l’avenir, uniquement à cause des soucis et du chagrin d’une année ou deux. Il n’y a aucune obligation de rester ensemble et de lutter pour que l’adversité se transforme à nouveau en bonheur.

— Comment peux-tu faire cela ? s’enquit Jaelle. Est-ce que tu ne vis pas dans le regret constant des années difficiles qu’il t’a fallu partager, sans possibilité d’évasion ?

— Pas vraiment, dit Rohana. Il nous a fallu longtemps pour survivre à nos épreuves, mais nous avons forgé un lien qui durera jusqu’à notre mort. Et au-delà, ajouta-t-elle en souriant, s’il y a quoi que ce soit au-delà.

— Tu affirmes cela vaillamment, fit la jeune Amazone, mais je crois… Oh ! Rohana, je ne veux pas te mettre en colère !

— La vérité ne peut pas me fâcher, Jaelle. Rappelle-toi seulement qu’il s’agit de ta vérité, ma chérie, et que ce n’est pas nécessairement la mienne.

— Alors, je crois que tu te dis n’avoir jamais eu de regrets parce qu’il est trop tard pour en avoir. Je crois que tu n’as tout simplement pas voulu renoncer à ton pouvoir et à ton rang d’épouse du Seigneur du Domaine d’Ardaïs.

— Peut-être un mariage est-il tissé de nombreux fils ténus, intervint Rohana sans se froisser. Gabriel n’est qu’une partie de ma vie, mais c’est une partie à laquelle je ne renoncerais pas volontiers, désormais. Je ne l’aimais pas quand nous nous sommes mariés, mais cela me déchirerait le cœur s’il fallait me séparer de lui maintenant.

Jaelle, se rappelant l’expression de sa tante lorsqu’elle s’était agenouillée près de l’homme inconscient, comprit obscurément que c’était vrai. Mais il lui semblait qu’il ne s’agissait là que d’un asservissement à un idéal, sans aucun rapport avec la passion irrésistible qui s’était emparée d’elle, presque à son corps défendant, et l’avait entraînée dans la vie de Peter.

— Ce n’est pas ce que j’appelle de l’amour ! répliqua-t-elle en tremblant.

— Non, je le suppose, ma chérie, dit Rohana en prenant les petites mains froides de la jeune femme dans les siennes. Mais c’est un sentiment réel et qui a duré.

— Alors tu crois que l’amour – l’amour tel que je le connais – ne signifie rien ? J’ai l’impression que selon toi, le mariage peut être conclu entre deux individus, n’importe lesquels, et quels que soient leurs sentiments l’un envers l’autre, comme si (et pour la première fois depuis douze ans, Jaelle cita le nom de sa mère)… comme si Melora et Jalak… comme si ma mère, en dépit du viol et de la captivité, avait pu édifier un bonheur durable.

— Cela même est possible, dans certaines circonstances, ma chérie. Mais je suis allée au mariage consentante, avec l’appui et la bénédiction de ma famille. Melora, elle, a été arrachée de force aux siens. Mais même dans ce cas ; si Jalak et Melora s’étaient choisis, si elle s’était enfuie avec lui de son plein gré ou même si, par la suite, il l’avait aimée et chérie pour elle-même, et non pas comme un gage de son orgueil néfaste et comme un rappel de sa haine envers le peuple des Domaines – même dans ce cas, peut-être aurait-elle pu trouver une certaine paix. Pas le bonheur, peut-être le contentement.

— Malgré les chaînes ?

— Oui, ma chérie. Si Melora avait aimé Jalak et avait été désireuse de lui plaire, elle aurait compris que les chaînes étaient un jeu auquel il se complaisait devant tous les hommes pour satisfaire son orgueil et elle les aurait portées pour jouer le jeu avec lui, de bon cœur… Jaelle, si tes Amazones levaient une armée et marchaient pour libérer les femmes des Villes Sèches de leurs chaînes, il y en aurait certainement qui vous acclameraient comme leurs libératrices. Mais il y en aurait d’autres, j’en suis certaine, qui vous inviteraient à faire demi-tour pour rentrer chez vous et à ne pas vous mêler de leurs affaires. Est-ce que tu ne porterais pas des chaînes pour faire plaisir à ton amant, Jaelle ?

— Il ne me le demanderait jamais, répondit la jeune femme. (Mais elle baissa les yeux en se souvenant de son jeu avec le ruban ; le jeu bizarre auquel elle avait joué, petite fille, dans les Villes Sèches.) Tu n’avais donc aucune pitié pour ma mère ? s’écria-t-elle, rendue furieuse par ce souvenir.

— Dieu seul sait à quel point, répondit Rohana, j’ai encouru la colère d’Hastur et j’ai manqué de peu détruire le bonheur que j’avais trouvé auprès de Gabriel, pour l’emmener avant qu’elle ne donne un fils à Jalak. Et pour te libérer, parce qu’elle affirmait qu’elle te tuerait plutôt que de te laisser vivre dans les chaînes dans la Grande Maison de Jalak. As-tu donc oublié cela ?

Ses yeux, gagnés par un début de colère, lançaient des éclairs.

Jaelle lui prit la main et au bout d’un moment, l’embrassa.

— Ma fille, reprit Rohana avec calme, bien des femmes portent leurs chaînes, comme moi je porte les catenas. (Elle tendit vivement le bras, montrant à sa nièce le bracelet consacré du mariage dont le pendant était fermé autour du bras de Gabriel.) C’est le symbole d’un lien qui enchaîne mon cœur pour toujours, même si je refusais, comme tu refuseras, d’en porter le symbole extérieur.

— Le serment des Amazones m’interdit de me marier di catenas, dit doucement Jaelle. Je n’ai jamais pensé que j’en aurais envie. (Elle cacha sa tête dans les genoux de sa tante tandis que ses minces épaules étaient secouées de violents sanglots.) Mais je ne le veux pas, Rohana ! Je ne le veux pas !

Alors, pourquoi pleures-tu si fort ? pensa la noble Comyn. Mais elle ne le dit pas, sentant à travers le contact de la tête de la jeune femme contre ses genoux, que son chagrin était poignant et très réel. Elle se contenta donc de caresser ses doux cheveux, tendrement.

— Tu es enceinte, ma chérie ? demanda-t-elle finalement.

— Non… non. Il m’a épargné cela.

— Et tu veux vraiment être épargnée, mon trésor ?

Jaelle ne put répondre. Elle était incapable de parler.

— Veux-tu rester avec lui dans la tristesse comme dans la joie, Jaelle ? s’enquit finalement Rohana, avec une grande douceur.

Jaelle leva un visage enfiévré.

— Je sens à présent que je le ferai, dit-elle, angoissée. Mais comment puis-je être sûre ? Comment puis-je savoir s’il m’aimera dans les moments d’infortune qui frappent tout le monde ? Comment puis-je même savoir ce que moi, je ferai à ce moment-là ? Et pourtant… il semble que cela en vaut la peine. N’as-tu jamais aimé personne, Rohana ? N’as-tu jamais eu envie de tout abandonner – tout, le mode de vie auquel tu t’es engagée, ton honneur, tout –, parce que tu ne pourrais pas… ne pourrais pas être séparée de…

Elle enfouit sa tête dans les genoux de sa parente et se remit à pleurer désespérément.

Le cœur de Rohana saigna pour elle et pour une blessure depuis longtemps guérie, que les paroles de Jaelle avaient rouverte. Oui, il y a eu un temps où j’aurais tout abandonné : mes enfants, la vie que je m’étais faite, Gabriel – mais ce prix m’a paru trop lourd à payer.

— Il n’y a rien dans ce monde qu’il ne faille payer son prix, fit-elle finalement, d’une voix mal assurée. Jusqu’à Kindra : elle n’a jamais regretté d’avoir prêté serment, mais elle a pleuré jusqu’au jour de sa mort, sur les enfants qu’elle avait abandonnés. Il me semble que c’est là le seul point faible du serment des Amazones. Les femmes qui le prêtent, se défendent des risques que toutes les femmes affrontent de bon cœur. Il se peut tout simplement que chaque femme doit choisir les risques qu’elle accepte de courir.

Jaelle l’écouta et les paroles de sa parente pesèrent lourdement sur son cœur. J’étais trop jeune lorsque j’en suis venue à prêter le serment des Amazones. La plupart des femmes se désolent en faisant ces renoncements, car elles savent que ce sont de véritables privations. Mais moi, il m’a semblé seulement que je renonçais à l’esclavage et que j’embrassais la liberté. Je n’ai pas pleuré en prêtant serment. Je n’arrivais pas à comprendre vraiment pourquoi tant de femmes ne pouvaient s’engager que dans les larmes…

— Tu aimes Piedro. Est-ce que tu resteras avec lui ?

— Il… il le faut. Je ne peux pas le quitter maintenant.

— Est-ce que tu lui donneras des enfants, ma chérie ?

— S’il… s’il le désire.

— Mais ton serment t’engage à n’en porter que si toi, tu les désires, intervint Rohana. Tu dois choisir et c’est peut-être cela que je trouve si mauvais. Le fait que vous autres femmes réclamiez le droit de choisir.

— Jamais je ne croirai cela ! répliqua Jaelle avec colère. Une femme qui n’est pas libre de choisir est véritablement une esclave.

— Mais cette même liberté de choisir ne garantit pas toujours le bonheur, dit Rohana en s’emparant à nouveau des mains froides de sa nièce et en les caressant. J’ai entendu de vieilles Amazones se lamenter sur le fait qu’elles n’avaient pas eu d’enfants, alors qu’il était trop tard pour changer d’avis. Et je… (Elle avala péniblement sa salive car elle n’avait jamais fait cet aveu à aucun être vivant. Ni à Gabriel, ni à Melora, ni à Kindra qui, pendant si longtemps, avait partagé ses pensées les plus secrètes.) Je ne voulais pas d’enfants, Jaelle. Chaque fois que j’ai su que j’étais enceinte, j’ai pleuré et ragé. Tu pleures parce que tu n’attends pas d’enfant, mais moi, je pleurais parce que je savais que j’en attendais. Une fois, j’ai lancé une coupe d’argent à la tête de Gabriel, je l’ai frappé, également, et je lui ai crié que j’aurais aimé l’avoir tué afin qu’il ne puisse plus me faire ça à nouveau. Je détestais être enceinte, je détestais avoir des petits enfants dans les jupes pour me déranger, je redoutais bien plus l’accouchement que tu n’as redouté l’épée qui t’a infligé cette blessure. (De ses doigts légers, elle dessina la trace encore rose qui traversait la joue lisse de la jeune Amazone.) Si j’avais eu la liberté de choisir, je n’aurais jamais mis d’enfants au monde. Et pourtant, maintenant que les miens ont grandi, que je constate qu’ils sont une partie de Gabriel et de moi qui survivra lorsque nous ne serons plus – à présent qu’il aurait été trop tard pour que je puisse changer d’avis –, je découvre que je suis heureuse d’avoir été obligée de les porter par les lois de ma caste et après toutes ces années, j’ai oublié – ou pardonné – toutes mes peines.

— Je crois, une fois encore, que tu sais qu’il est trop tard pour avoir des regrets, fit Jaelle d’une voix enrouée, refusant à laisser voir à quel point cette déclaration l’avait émue. Alors, tu te dis que tu n’en as pas.

— Je n’ai pas dit que je n’avais pas de regrets, ma fille, intervint Rohana à voix très basse, mais seulement que tout a un prix en ce bas monde, même la sérénité que j’ai trouvée au bout de tant d’années de souffrance.

— Tu crois vraiment que tu as payé pour avoir cela ? Je croyais t’avoir entendue dire que tu avais tout ce qu’une femme pouvait désirer !

Rohana baissa les yeux. La gorge nouée, elle se souvint pendant un moment d’un jour, il y avait des années de cela, où elle avait plongé son regard dans les yeux gris de Kindra et su le prix qu’il lui faudrait payer. Elle fut incapable de regarder Jaelle en face. Elle ne voulait pas pleurer.

— Tout sauf la liberté, Jaelle. Je crois qu’elle m’aurait coûté trop cher. Mais je n’en suis pas sûre. (Sa voix s’altéra.) Il n’y a rien de sûr en ce bas monde, hormis la mort et la neige de l’hiver à venir. Peut-être n’ai-je pas envie d’être sûre, non plus. Le prix qu’il m’a fallu verser, c’est ma liberté. Tu as la tienne, toi. Tu es tenue par le serment de l’assumer, même à présent que tu ne la désires plus. Mais à quel prix, Jaelle ?

La chaîne brisée
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